Des poupées à la croisée des chemins
Par BillyBoy* - Traduit de l'anglais par Lala J.P Lestrade
C'est vers la fin des années 1950 que les tendances en matière de modes pour les poupées se sont scindées en trois directions distinctes.
Alors qu'au début des poupées d'apparence "adulte" leur style s'appuyait sur les aspirations de la toute jeune fille, de l'adolescente en pleine crise de puberté ou à l'allure déjà adulte, un des trois aspects pourrait être défini comme l'école "Queen From Outer Space", celle de la reine de l'espace intersidéral: ce qui, tout comme pour Zsa Zsa Gabor dans le film éponyme de série B, impliquait force tenues moulantes largement échancrées, négligés en maille et paillettes et cheveux décolorés de diverses nuances.
L'humeur était, comme l'a si judicieusement défini la Superstar de Warhol Candy Darling, un look de "blonde on a bummer", une dégaine de blonde dans la panade: les tenues, bien que soi-disant inspirés des modes de Paris, avaient un coté quelque peu sulfureux et destroy avant l'heure, surtout une fois réalisées de façon commerciales, sans doublures et aux finitions approximatives .Des pantalons capri, des fourreaux et des twin sets en maille furent généralisés.
La seconde tendance, issue du syndrome "Tasteful First Lady" (Première dame bon chic bon genre), exprimait un look épuré, sobre à l'autorité assumée de la Fifth Avenue - le style Sak’s, Bergdorf et Bendel’s que l'on voyait page après page dans Vogue et Harper's Bazaar.
La troisième était la tendance collégiale, du genre Patty Duke qui s'exclame "Gee, Mom!” ("Mince, M'man!") . Parfois garçons manqués et toujours enthousiastes, les poupées de cette catégories passaient leur temps entre les senior prom et les fraternity dances, les fêtes de promotion et les bals de collège. Elles étaient illustrées de façon stylisée en train de se pâmer devant la photo de leur boyfriend ou à trainer dans des dinners très "Pop Shoppe", à siroter des Cokes avec des pailles à l'angle très graphique. Une image qui fut immortalisée par Irving Penn pour Vogue, dans les publicités de l'époque du Saturday Evening Post (et les dessins de Norman Rockwell) et à peu près partout alors.
Cela va sans dire que, même si leurs traits s'accordaient pleinement avec une des catégories pré-citées, la garde-robe de la plupart de ces poupées empruntait dans celle des autres quelques éléments dont elle faisait son affaire. La poupée sexy et coquine avait immanquablement quelques tenues décontractées pour la maison ou d'étudiante au campus. Si la torride Jane Mansfield pouvait arborer un tablier napperon dans le film "The Girl Can't Help it", ou si Mamie Van Doren pouvait jouer le rôle de la tante de quelqu'un dans “High School, Confidential!", alors il n'y avait aucune raison pour qu'une poupée qui leur ressemblait ne puisse en faire autant!
Quelque-unes d'entre elles erraient comme des âmes perdues dans les limbes éthérées - ou devrais-je dire péroxydées?- d'une catégorie ou l'autre. S'il est difficile de leur en attribuer une précisément, c'est parce qu'elles sont moins connues et de plus médiocre qualité. Quelle vie!
Le style "I Love Lucy", "Première Dame bon chic bon genre", et adolescent genre "Mince, M'man!"
Quelques exemples moins connus dans ces catégories incluent la poupée Sandra Sue de 1956, produite par Richwood Toys. Emballée dans une boite d'un blanc immaculé, avec une petite silhouette en camée encadrée de noir au centre du couvercle, elle entrait dans le syndrome Tasteful First Lady, surtout lorsqu'elle se trouvait habillée dans un ensemble typique en tulle blanc bouffant style robe du soir pour inauguration. Le bustier en taffetas noir et les guirlandes de fleurs à la Watteau, drapées en paniers, rappellent un modèle de Jacques Fath similaire, porté par Bettina sur la couverture de l'Album du Figaro, quelques années plus tôt.
Les compagnies Cosmopolitan Doll et Toy Corporation of Jamaica, New York présentèrent leur Ginger et Little Miss Ginger dans des tenues que je nommerais mode style "I Love Lucy", du nom de la fameuse série télé US avec l'irrésistible Lucille Ball. Une robe chemisier à manche courtes et jupe ample en coton à bandes noires et blanc sur un jupon froufroutant, portée avecr une veste rouge à revers pliés révélant le tissu assorti à la robe, voilà pour le look Lucille Ball, avec deux gros boutons sur le revers. Les manches, également en tissu rayé sont bordées de dentelle assortie à celle du jupon. Le chapeau, façon "Lucy-sort-acheter-un-chapeau-en-dépit-de-ce-qu'en-pense-Ricky", est en paille garni de fleurs et règle son compte au concept "assorti". Et d'une certaine façon, tout l'ensemble d'ailleurs! Ginger et son homonyme en taille réduite avaient cependant toute une flopée de chapeau très Balenciaga d'esprit. Un grand chapeau saladier en crin, plat comme un paillasson, est le comble de la simplicité, voyons. Le canotier que portaient les hommes en 1900, aux proportions boostées tout comme celui lancé par Balenciaga, devient une petite merveille miniature pour poupée, complet avec son ruban de gros grain noir avec le noeud stylais à l'arrière. Elle avait encore d'autres petites choses comme une robe blanche à jupe ample sans manches portée sur une chemise sans col rose pale qui avait un petit air des coordonné Givenchy. Je dois insister toutefois que sa garde-robe, bien que touchant de très près le style Première dame chic, avec ses références plus couture doit son essence à celui de Lucy, de Donna Reed et son cortège de personnages de sitcoms.
De " à peine reine" à "très, très, très reine"
Comme au jeu de la cachette qui varie du froid glacé au chaud brûlant, on trouve au rayon “Reines de l'espace intersidéral”, un choix qui varie de "à peine reine" à "presque reine" au "très très très reine". De chez Deluxe Reading Corp, les fabricants de la populaire poupée pré-adolescente Penny Brite, on peut trouver une autre consoeur nommée Candy avec sa ligne "Candy Fashions" ("The dream of every girl""- le rêve de chaque jeune fille). Sa boite rutilante clamait qu'elle était "la poupée ayant les tenues les plus exquises au monde", excusez du peu, et que le paquet contenait "quatre ensembles parfaitement assortis".
La robe, bien sûr trop courte pour être honnête, est encore plus mise en avant par l'angle de l'illustration qui part en contre-plongée du caniveau! Une ceinture large dans un skaï noir éloquent lance des reflets sur sa taille fine, tandis qu'une étole maigrichonne ornée de glands aux extrémités, est balancée à la va-vite sur les épaules. Son geste, bras tendu en tenant sa pochette semble accompagner la parole: "Bon sang, tirons-nous de c'te coin pourri….Taaaaaaxi!" Les chaussures et les chevilles sont à faire transpirer un fétichiste, sauf que...aucune trace de bas! Une authentique pétasse…au mieux.
Hong Kong Lilli et Miss Seventeen
De Beehler Arts une autre "poupée à talons hauts" - si vous le croyez, elle n'a même pas de nom!- de médiocre qualité vient en tout et pour tout dans un emballage brun, comme ces magazines pour messieurs que l'on remettait ainsi discrètement à l'acheteur, d'autant qu'elle porte un de ces maillots de bain en feutrine bleue qui semble sorti de Frederick's of Hollywood (marque de sous-vêtements et maillots de bain vendue sous catalogue, NDLR). Sa coiffure est à la Shirley MacLaine style "Can Can" ou façon “Sweet Charity”, dans lle genre rousse sinon rien si l'on excepte la teinte “Ultra White Minx”ce qui nest pas un jeu de mots et qui est plus blanche que neige. Peut-être c'est mon imagination qui s'emballe, mais je trouve qu'elle a l'air d'avoir été traumatisée par le film “Juvenile Jungle” (“une fille délinquante…un gang à tout casser…prêt à tous les excès!”) ou par Dorothy Provine dans “Live Fast, Die Young” ("Une adolescente vagabonde…la route qu'elle a pris ce soir est un aller simple pour l'enfer!”). Ce n'est peut-être pas un hasard si le film et la poupée sont sortis tous les deux la même année, 1958.
Avant les débuts de la populaire poupée Barbie en 1958 avec sa poitrine en avant et sa ligne élancée, ses sourcils arqués, son ombre à paupière bleue et sa queue de cheval intrigante, il a bien existé une poupée allemande, encore plus sexy et mutine, qui, au moins cinq années avant la poupée Barbie, influença de façon certaine un bon nombre de poupées et cela pendant plusieurs décennies. Après que le modèle de Lilli - c'est bien elle- fut "acquis" par Mattel (version officielle) puis adapté et transformé en un phénoménal succès sous la forme de Barbie, il y eut au moins trois dimensions de moules de poupées Lilli qui furent exploitées pour produire toute une série de poupées moins connues et, à l'époque, bien moins chères. Pendant que Barbie menait la danse avec une qualité supérieure du haut de son concept usurpé, ce que l'on nomme généralement “Hong Kong” Lilli (parce qu'elle était fabriquée à Hong Kong par Fab-Lu Ltd. ou autre, contrairement à Lilli qui était fabriquée en Allemagne), Babs, et Miss Seventeen réussirent la prouesse d'apporter une alternative à la petite bombe blonde de Mattel, avec leurs modes et leur élégance sophistiquées.
Une nouvelle entité:
la zone suburbaine et l'adolescent
Vint un un courant à partir du milieu des années cinquante qui se retrouva dans tous les arts à la télévision, la radio et les films d'Hollywood (qui, à cette époque, avaient une influence mondiale jusqu'à dans les livres, et les romans de gare). Cette nouvelle tendance s'étalait surtout dans l'art populaire, la publicité, les magazines, les bilboards , ces immenses panneaux publicitaires typiquement américains, les affiches de films et même dans l'art moderne (déjà fortement influencé par les poussées de l'art commercial, ce qui devait ultérieurement se développer sous la forme de "Pop" art). Tous faisaient état de cette nouvelle influence. C'était dans l'air du temps, l'omni présence de la femme érotisée, lisse et dure, souple comme une panthère et brûlante comme un volcan. Elle devint un idéal et une image dans toute une partie bien précise de la culture américaine et européenne et, en dépit des protestations outrées des associations de parents et de professeurs (les redoutables P.T.A, Parents and Teachers Associations), des diktats sobres et raffinés de Vogue et de la presse traditionnelle, des écoles paroissiales du dimanche et même des condamnations du Vatican, elle devint de plus en plus incontournable là où elle trouva son public le plus réceptif, dans cette nouvelle classe en pleine croissance de la société, une image de celle-ci à part entière….les adolescents.
La différence essentielle entre l'enfant, plus communément appellé "kid" ou gosse et la nouvelle entité, le "teen-ager", l'adolescent, réside principalement dans l'habilement, et tout ce qui va avec (goûts, musique, langage), autant de marques qui vont le différencier catégoriquement des parents. Les adolescents vont aussi développer des attitudes pour se distinguer les uns des autres, mais ces subtilités sont moins flagrantes. A ce titre, cette nouvelle race "d'enfant version adulte" se positionnait par rapport à cette nouvelle image de femme dure à travers plusieurs attitudes différentes, lesquelles correspondaient en fait à divers échelons d'élégance vestimentaire; à son stade le plus révolté elle consistait en blouson de cuir - en France le terme "blouson noir" deviendra vite synonyme de voyou- partie d'uniforme qui déplaisait le plus aux adultes et qui n'était pas très courante dans les modes post-adolescentes féminines de l'époque.
Un autre échelon est celui dont rêvait de nombreuses filles sans toutefois oser sauter la barrière:lLes pantalons capri trop suggestifs s'adaptèrent donc en pantacourts , les pulls moulants en tuniques et, dans sa quintessence tout aboutit à la poupée Barbie, qui exprimait l'aspiration prédominante de la société, laquelle fut peaufinée encore plus par la poupée pré-adolescent encore plus "nette" -c'est à dire épurée de toute connotation érotisante- avec son joli minois encore tout empreint des rondeurs de l'enfance: Tammy de Ideal. Tammy, à l'instar de son clone Randy, la soeur de la poupée Babs, justifient un chapitre à elles seules un peu plus loin.