Il est impossible de parler des fascinants prototypes de modes pour Barbie créés par BillyBoy* entre 1984 et 1985 sans évoquer cette période.
Au début des années 1980, la poupée Barbie était loin d`être le phénomème de collection qu’elle est aujourd’hui. C’était avant tout une poupée très commerciale, fabriquée de façon industrielle en énormes quantités et ciblant un public d’enfants très jeunes (à partir de 4 ans): en d’autres termes, une chose de nylon rose fluo avec des cheveux blonds qui lui tombaient jusqu’aux pieds!
En France plus particulièrement, Barbie n’a pas connu dans les années 60 et 70 la popularité qui était la sienne aux USA pendant cette période. Jusqu’au milieu des anées 70, elle n’avait pas bénéficié d’une distribution et d’un promotion aussi redoutables qu’aux USA. Mattel France ne fut seulement créé qu'en 1972. Comparée à d’autres poupées de modes made in France, telles que l’étonnante poupée Mily de Gégé ou la poupée Tressy de Bella, toujours en vue depuis les années 60, c’était surtout une poupée mannequin importée, moins visible et sensiblement plus chère.
Aux yeux de la plupart des adultes, il est indéniable qu’elle avait une image pour le moins controversée, faite d’indifférence et de refus, poupée-femme perçue comme une femme-objet, ce qui n’était pas vraiment le meilleur passeport dans la société française post-soixante-huitarde. En tant qu’objet de collection sur le “marché” des poupées en France, elle n’existait tout simplement pas. Je me souviens comme si c'était hier de ces excursions au marché au puces de St. Ouen à Paris, ou ailleurs en France, lorsque BillyBoy* demandait aux marchands de poupées anciennes s’ils avaient des poupées Barbie. On le regardait d’un air franchement offusqué comme s’il avait prononcé une obscénité, ce qui ne manquait pas de surprendre BillyBoy*, car cette réaction hautaine était en fait révélatrice d’une totale ignorance du phénomène qu’il était bien le seul à anticiper. Au pays des poupées Bru et Jumeau, on ne pouvait en effet pas demander à ces marchands "spécialisés" en poupées, souvent si sûrs d'eux-mêmes, de s’intéresser à une chose aussi insignifiante qu'une poupée en...vinyl! Les choses allaient certainement changer pour de bon (et souvent même pour le pire) après l'intervention de BillyBoy*.
Un projet fabuleux sur un plateau d'argent
BillyBoy* fut véritablement la première personne à parler de Barbie d’une façon sophistiquée, en réussissant un cocktail intelligent d’humour, de connaissance aigüe de l’histoire de la mode et de contexte sociologique. Il connaissait toute l’histoire de Barbie et pensait qu’il était temps de faire quelque chose de nouveau sur ce sujet. Médiatique, spécialiste d'Elsa Schiaparelli et grand collectionneur de haute couture, âgé de vingt-trois ans à peine, ses créations de bijoux d'inspiration surréaliste, cartoon et baroque, étaient dans tous les magazines. Journalistes et rédactrices de modes appréciaient particulièrement ce jeune homme, excentrique en apparence mais qui savait si bien parler de Barbie, d'Elsa Schiaparelli, de haute couture d’une façon désinvolte et sérieuse à la fois.
Vers cette époque, BillyBoy* fut contacté par les dirigeants de Mattel à Paris. Ils avaient vu dans ELLE un petit article qui lui était consacré. La photo le montrait portant un chapeau fou des années 30 signé Schiaparelli avec, perchée sur son épaule comme un petit oiseau, une poupée Barbie “Twist and Turn”....(Elle portait l’ensemble de patinage sur glace “Action Accents” bordé de fausse fourrure avec ses collants turquoise et rose, pour tout vous dire...) Je le vois encore partir à ces premiers rendez-vous, les cheveux blond platine plaqués en arrière dans un style avant-guerre, moulé dans une tenue en vinyl noir et cuir de Serge Krüger, quelquefois au contraire dans une mini robe toute simple de Mary Quant sur un collant de laine noire, recouvert de bijoux rares et exotiques ce qui était sur lui parfaitement masculin, aux antipodes de l'esprit drag queen- toujours flanqué de son inséparable assistante Jane (également en cheveux platine). Les cadres de la direction de Mattel qui le voyaient débouler ainsi en restaient bouche-bée, mais eurent vite fait de prendre au sérieux le projet fabuleux qui leur était apporté sur un plateau d’argent par ce si curieux jeune homme.
Concernant Barbie à l’époque, les cadres de Mattel avaient peu, si ce n’est pas du tout, conscience d’un marché potentiel d’adultes, une réalité pourtant évidente qui était totalement sous-estimée par eux. C’est également durant ces réunions que BillyBoy* a exprimé de façon claire et argumentée l’idée de relancer les modèles phares de l’histoire de Barbie, de ressortir Francie et Midge, et surtout de proposer des poupées de meilleure qualité, s’adressant à un public adulte. A l’époque, ces conseils avaient été reçus comme totalement farfelus et impensables. Toutes ces idées devaient pourtant être largement exploitées par Mattel, un peu moins d’une décade plus tard.
Une réelle vision
C’est pendant cette période que j’ai découvert le monde si particulier et pour moi inconnu, de la poupée Barbie. BillyBoy* possédait une collection hallucinante de ces poupées (le chiffre de 11 000 était communément cité, suite à une boutade lancée par BillyBoy* à une journaliste: un chiffre ahurissant qui avait été constamment repris ensuite par tous les autres, et qui est même immortalisé aujourd'hui sur Wikipédia! BillyBoy* pouvait chanter toutes les chansons -mélodies et paroles- des spots publicitaires de Barbie qui avaient hanté son enfance dans les années soixante, dont certains mettaient en sçène l’actrice-enfant Eve Plumb (plus tard teenage star pour son rôle de Jan Brady dans l'émission télévise culte "La Tribu Brady" - The Brady Bunch - aux USA), tout en sortant des poupées de leur boites et en vérifiant si tout était en ordre, en compagnie de Jane, son inséparable assistante.
C’est aussi durant cette période que BillyBoy* se mit à créer des prototypes pour la poupée Barbie. Mattel lui fournissait des poupées par cartons entiers, telle P.J, une brunette que BillyBoy* préférait nettement à l’incontournable Barbie blonde. Nous passions des heures à ouvrir des boites et à débarrasser les poupées de leurs robes, qui, fourrées dans un grand sac, finirent données à l’Armée du Salut. Je me demande ce qu’il est advenu de toutes les robes fucshia en forme de rose de P.J et des robes du soir en nylon irisé de Barbie Cristal!
BillyBoy* avait une réelle vision de la poupée Barbie, laquelle incluait à la fois un résurrection de certains modèles anciens et d’une mode totalement contemporaine. Il regrettait beaucoup, lors de ses incursions dans sa collection, que Barbie eût perdu quelque part en chemin, à ses yeux en tous cas, certains des aspects initiaux de sa personnalité. Il pensait qu’elle devait absolument quitter le monde des princesses pour redevenir une poupée de mode. Et de quoi peut-on avoir envie lorsque l’on se trouve à Paris, mythique capitale de la mode? De gants, de chapeaux et turbans, de robes du soir (de vraies cette fois-ci), de tenues de cocktail, d’élégants ensembles pour le jour, de bijoux à gogo et même - pas du tout politiquement correct- de fourrure! Au diable les tenues de jogging et de chaussures de sport, à la trappe les robes de princesse phosphorescentes !
Il commença par engager une couturière, son idée première étant de réaliser des vêtements à part entière. La couturière, une femme d’une cinquantaine d’années au caractère pointilleux se révéla vite trop compliquée et particulièrement dédaigneuse envers Barbie (de plus, ses tarifs étaient prohibitifs). Sa lenteur d’exécution était incompatible avec le foisonnement d’idées que BillyBoy* voulait concrétiser. Après une dizaine de modèles qui furent réalisés non sans peine, la solution de la couturière fut abandonnée. Avec mon aide (je travaillais alors sans relâche à la création et la réalisation des bijoux), nous avons commencé toute une série de prototypes qui exprimèrent la conception de BillyBoy* d’une Barbie contemporaine. Les cheveux furent coupés courts ou montés en choucroutes abracadabrantes (c'était la période Ivana Trump), très souvent teintées, les maquillages totalement recréés, même la couleur des pupilles, à l’ineffable bleu turquoise, fut changée pour du brun noisette, du violet ou du vert. La Barbie re-vampée avait des lèvres rouge foncé et bien sûr, des ongles laqués aux mains comme aux pieds.
BillyBoy* trouvait le perpétuel sourire de Barbie démodé. Il tenait absolument à ce que SA Barbie “Feeling Groovy” (il fut le premier à remettre à la mode le terme “groovy” dans les années 80) eût les lèvres closes, un détail qui donna lieu à d’interminables discussions avec Mattel USA. Il voyait pour elle un sourire énigmatique à la Anna May Wong, une coupe noire à la Louise Brooks et rien d’autre. Surtout pas de bouche ouverte, ce qu’il finit par obtenir, une grande première à l’époque.